Qui
se trouve à l’origine des apparents changements qui semblent toucher le royaume
saoudien ? Le roi Salman âgé de 82 ans ? Pas vraiment. La réponse est à aller
chercher du côté de son fils Mohammed ben Salman – dit MBS – le jeune prince
officiellement désigné héritier du royaume le 21 juin 2017. Âgé de seulement 32
ans et totalement inconnu des Saoudiens et de la scène internationale il y a
encore quelques années, son ascension fulgurante démarre avec l’accession au
trône de son père, en janvier 2015. Le jeune prince est alors nommé à la tête
du très puissant ministère de la Défense, un organe important du pouvoir
autoritaire de la dynastie Al Saoud dans un Moyen-Orient au climat
particulièrement tendu et crisogène. Quelques mois plus tard, en avril 2015, il
est désigné second vice-premier ministre. Depuis lors, son pouvoir et son
emprise sur les affaires de l’État n’ont cessé de croître, à tel point que pour
beaucoup d’observateurs, c’est aujourd’hui lui qui tient de facto les rênes du royaume et non plus son père, dont la santé
fragile et vacillante le cantonnerait essentiellement à un rôle de représentation.
Petits pas pour les femmes
Sur
le plan de la politique intérieure, MBS semble vouloir octroyer davantage de
libertés individuelles à sa population – et notamment aux femmes – tout en
cherchant à serrer la bride au pouvoir religieux – l’un des plus conservateurs
du monde musulman – dans un pays qui est tout de même le gardien des deux
principaux lieux saints de l’islam et où le poids de l’orthodoxie pèse depuis
de nombreuses années, tant sur le pouvoir que sur la société. À l’égard des
femmes, il souhaite accélérer la dynamique initiée par le précédent souverain, le
roi Abdallah, qui avait annoncé en septembre 2011 l’octroi aux Saoudiennes du
droit de vote, lors des élections municipales à partir de l’année 2015.
Cette question des droits de la femme – et
plus largement des droits de l’homme dans leur ensemble – entache considérablement l’image
de Riyad à l’étranger, et ce, particulièrement au sein du monde
occidental. C’est là un motif de grief redondant qui se retrouve régulièrement
mis en avant par les acteurs, tant politiques qu’issus de la société civile,
soucieux de dénoncer les partenariats privilégiés et les relations parfois
ambiguës qu’entretiennent certains gouvernements occidentaux avec le royaume
saoudien. Le cas de Washington en constitue la plus belle illustration comme en
témoigne le contrat record conclu en mai 2017 par l’administration Trump avec
Riyad et portant sur un montant de 10 milliards de dollars dans le domaine de
l’armement. Plus près de chez nous, les ventes d’armes de la FN Herstal à Riyad
font régulièrement couler beaucoup d’encre et ne manquent pas d’animer le débat
politique. Conscient de ce problème et soucieux de défendre son image, le
royaume saoudien cherche à s’ingérer dans la gestion de ces questions au niveau
international. C’est ainsi qu’en avril 2017, suite à d’importantes tractations
diplomatiques rudement menées, il parvient à se faire élire au sein de la
Commission des droits de la femme de l’ONU pour la période allant de 2018 à
2022. Par ailleurs, Riyad siège déjà au sein de la Commission des droits de
l’homme de l’ONU depuis 2006, son mandat actuel se terminant en 2019.
Mais
outre le droit de vote aux élections municipales, quelles ont été les réelles
avancées récentes dans le domaine des droits de la femme au sein du royaume
saoudien ? Souvent dénoncée, l’interdiction faite aux femmes de conduire un
véhicule automobile sera abrogée en juin de cette année. Annonce en a été faite
en septembre dernier. Un mois plus tard, fin octobre 2017, Riyad annonçait que
les trois plus importants stades du pays seraient bientôt aménagés afin de
pouvoir accueillir des femmes dans leurs tribunes lors d’évènements sportifs. Une
première dans le royaume.
Des mesures symboliques
Si
ces deux réformes sont à mettre au crédit de MBS et se doivent d’être saluées,
il faut tout de même garder à l’esprit qu’il s’agit avant tout de mesures symboliques
qui ne changent in fine rien au fond
du problème des droits de la femme en Arabie saoudite. Les plus optimistes
peuvent y voir un pas dans la bonne direction mais cela ne doit pas occulter le
fait que la femme saoudienne demeure soumise à l’autorité d’un tuteur masculin
ayant le pouvoir de réguler tous les aspects de sa vie. Pas d’étude et encore
moins de voyage à l’étranger sans l’accord de son tuteur. L’infériorité
juridique de la femme par rapport à l’homme demeure également inscrite dans la loi
saoudienne. Il y a donc peut-être une légère évolution positive mais il ne
s’agit en aucun cas d’une révolution. Qui plus est, l’agenda de l’annonce de
ces réformes ne semble pas fortuit et tend à illustrer le fait que MBS agit
davantage en stratège politique soucieux de consolider son pouvoir qu’en
véritable homme de principe.
Adversaires politiques au tapis
Ces
réformes, populaires auprès d’une tranche importante de la jeunesse saoudienne,
sont en effet annoncées alors que le jeune prince se lance parallèlement dans
une purge sans précédent dans l’histoire du royaume. Un peu comme s’il
cherchait à se doter d’un soutien populaire au moment d’attaquer ses rivaux
politiques au grand jour. Cette purge conduit ainsi à l’arrestation de
plusieurs princes et anciens ministres, officiellement accusés de corruption.
Cette accusation a de quoi surprendre au sein d’un État quasi mafieux où la
limite entre deniers privés et publics est quasi inexistante pour les membres
de la famille royale. En réalité, il y aurait de quoi monter des accusations de
corruption contre pratiquement tous les membres du sérail du pouvoir saoudien.
La manœuvre de MBS vise en fait à mettre sur la touche les poids lourds de la
politique saoudienne restés fidèles au lignage de feu le roi Abdallah, et qui
pourraient dès lors constituer un obstacle dans sa marche vers le pouvoir. Au
travers de cette purge et de ces réformes, le jeune prince se construit donc une image d’homme moderne
en phase avec les aspirations de la jeunesse saoudienne autant qu’il agit en fin calculateur
soucieux de mettre au ban la vieille garde de la famille royale ainsi que
l’influent pouvoir religieux. MBS apparaît dès lors plus comme un homme de
pouvoir pragmatique que comme un véritable idéaliste.
L’Iran pour ennemi juré
Il en
va de même pour sa politique internationale particulièrement agressive et
dirigée contre Téhéran. Dans ce domaine cependant, le prince héritier n’est pas
parvenu à engendrer les mêmes succès que sur la scène politique intérieure,
bien au contraire. Il est à l’origine de l’intensification du conflit au Yémen
où, de son côté, Téhéran soutient militairement et financièrement les rebelles
houthis. Aujourd’hui, le pays est totalement ravagé et le blocus que lui impose
Riyad a déjà contribué à déclencher une épidémie de choléra ainsi qu’une
flambée de cas de diphtérie. MBS dénonce aussi régulièrement l’accord portant
sur le programme nucléaire iranien. Lorsque Donald Trump a décidé de ne pas
certifier cet accord, en octobre 2017, de nombreuses voix se sont élevées pour
dénoncer cette position, notamment dans les chancelleries européennes. Seuls
deux États ont chaudement félicité le turbulent locataire de la Maison-Blanche :
Israël et l’Arabie saoudite. Or ces deux ennemis d’hier sont aujourd’hui en
phase de rapprochement, sous l’impulsion du pragmatique MBS justement. Les
impératifs de la Realpolitik, face aux ambitions iraniennes, semblent désormais
prendre l’ascendant sur l’idéalisme de la solidarité arabo-musulmane à l’égard
de la cause palestinienne. Dernier coup de MBS en date dirigé contre
Téhéran : la démission « volontaire » depuis Riyad du Premier ministre
libanais Saad Hariri. Si l’objectif de la manœuvre consistait à déstabiliser le
Liban et par extension à affaiblir le Hezbollah, fidèle allié de Téhéran au
pays du cèdre, force est de constater qu’aujourd’hui le dénouement de la crise
s’apparente plus à une humiliation pour Riyad.
Sur
le plan international, MBS apparaît donc en homme de pouvoir ambitieux et
désireux de faire de son pays la principale puissance du Moyen-Orient, et ce,
au détriment de l’Iran dont il a comparé le Guide suprême, Ali Khamenei, à
Hitler au mois de novembre dernier. Sa rhétorique et ses actions ne laissent
pas entrevoir un homme de paix mais, bien au contraire, un facteur déstabilisateur
supplémentaire au sein du Moyen-Orient. Une région du monde qui aurait pourtant
bien besoin de plus d’hommes d’État tournés vers le dialogue et la diplomatie
plutôt que vers l’épreuve de force.