Il peut sembler quelque peu incongru de chercher à comparer
Donald Trump à Mahmoud Ahmadinejad. Et pourtant, cela peut s’avérer
particulièrement tentant et ce d’autant plus que nous parlons ici de l’Iran et
des Etats-Unis, deux Etats aux relations particulièrement conflictuelles et aux
idéologies diamétralement opposées depuis la Révolution islamique de 1979.
Certes de prime abord, beaucoup de points semblent
différencier les deux individus. L’un est un homme d’affaire milliardaire issu
d’une famille aisée du Queens, tandis que l’autre, avec un père forgeron,
provient d’un milieu modeste et a grandi dans un quartier populaire de Téhéran.
Mais au-delà de ces origines très différentes, les deux hommes, dans leur
style, présentent quelques similitudes[1].
La première similitude réside dans la dynamique électorale
des deux individus. Certes M. Ahmadinejad et D. Trump n’ont pas le même type de
parcours politique. L’ancien président iranien a occupé divers mandats
régionaux et a été Maire de Téhéran de 2003 à 2005 avant de devenir le
président de la République islamique. Par ailleurs, lors de sa première
campagne présidentielle, Ahmadinejad était une figure quasi inconnue sur la
scène politique nationale iranienne. Trump quant à lui, grâce à l’image qu’il
s’était façonné au travers de la télé-réalité, était déjà une figure connue de
ses concitoyens mais il n’avait en revanche aucune expérience politique. La
similitude ne réside donc pas dans leurs antécédents mais bien dans leur
positionnement au cours de leur campagne.
En effet, l’un comme l’autre se sont positionnés comme des
candidats « antisystème » désireux de mettre fin à la corruption des
élites afin de rendre le pouvoir au « peuple ». Nous trouvons ici les
bases du discours populiste. Mais qu’est-ce donc que le populisme ? Le
terme est souvent utilisé à outrance, ce qui finit par le vider de sa substance
et de son véritable sens. Dans son ouvrage « Qu’est-ce que le
populisme ? Définir enfin la menace. », Jan-Werner Müller, Professeur
à l’Université de Princeton, explique que le populisme est bien souvent
amalgamé – à tort – à la démagogie[2]. Or,
comme expliqué par l’auteur, si tous les populistes sont des démagogues, tous
les démagogues ne sont pas des populistes ; la démagogie étant une
condition nécessaire mais non suffisante que pour appartenir à la classe des
populistes. Outre la démagogie, les principales caractéristiques d’un discours
populiste résident dans le rejet de l’establishment, l’anti-élitisme, et
l’affirmation, défendue par l’orateur, selon laquelle il est le seul à même de
résoudre les problèmes du « peuple » et que par conséquent, il est le
seul à véritablement parler au nom du « peuple ». Ce type de discours
est bien évidemment dangereux et réducteur. Dangereux parce qu’il rejette de facto le pluralisme politique qui
constitue la quintessence de l’appareil démocratique. Réducteur parce que outre
l’aspect démagogique qui consiste à proposer des solutions simples à des
problèmes autrement plus compliqués, il prétend réduire le « peuple »
à un ensemble homogène. Or, le « peuple » est pluriel et cette
simplification sous-entend l’existence d’un « bon peuple » et d’un
« mauvais peuple » ; ce dernier étant composé des opposants à
l’orateur, lesquels ne se soucieraient que de leurs intérêts sans se soucier de
l’intérêt commun dont la maximisation ne peut être atteinte que grâce aux idées
défendues par l’orateur populiste. Normal puisque dans son esprit, il est le
seul à comprendre les défis et problèmes de la société et que par conséquent,
il est également le seul capable d’y répondre de manière efficace. De même, le
discours populiste joue dans le registre de l’émotionnel et non dans celui du
rationnel puisqu’il s’alimente du ressenti – justifié ou non – d’une partie de
la population à l’égard de la classe politique traditionnelle.
M. Ahmadinejad et D. Trump entrent tous deux dans ce cadre de
l’orateur/candidat populiste. L’ancien président iranien a en effet axé sa
première campagne électorale sur la lutte contre la corruption des élites ainsi
que sur la promotion des intérêts des classes les plus défavorisées,
« oubliées » par l’establishment politique de Téhéran. Le discours
d’investiture du nouveau président américain est quant à lui assez éloquent et
se situe dans la continuité des propos tenus par D. Trump tout au long de sa
campagne[3]. Il y
évoque ainsi également les « oubliés » de Washington et promet de
rendre le pouvoir « au peuple », égratignant au passage
l’establishment politique américain qui était présent à sa cérémonie
d’investiture.
Il faut toutefois souligner que l’identification des deux
hommes au populisme a été mise en exergue par les candidats qu’ils ont
respectivement affrontés a cours de leur première campagne électorale, à savoir
H. Rafsandjani[4] pour M.
Ahmadinejad et H. Clinton pour D. Trump. H. Rafsandjani et H. Clinton
illustrent en effet tous deux l’establishment tant décrié par les populistes. Tous
deux ont occupé de hautes fonctions au sein de leur appareil institutionnel
respectif, ce qui a contribué à leur forger une image de membre du
« système », éloigné des préoccupations du citoyen lambda et œuvrant
avant tout pour l’intérêt des « puissants ». Par ailleurs, tant H.
Rafsandjani que H. Clinton ont souffert d’accusations de corruption, un maux
présenté par leurs opposants comme étant un corolaire de leur appartenance à
l’élite. H. Rafsandjani avait déjà occupé le fauteuil présidentiel de 1989 à 1997
et la candidature d’H. Clinton a présenté pour certains un aspect
« dynastique » dû à la présidence exercée par son mari de 1993 à
2001. Cet aspect « dynastique » au sein de l’establishment politique
américain avait déjà été mis en avant au moment de la présidence de G.W. Bush
et D. Trump s’est positionné en opposant à cette manière de concevoir et de
faire de la politique. Ainsi, les candidatures de H. Rafsandjani et de H.
Clinton ont été présentées par leurs opposants comme une illustration de la
concentration du pouvoir entre les mains d’une élite réduite à quelques
personnalités/clans influents et bien évidemment dévoués au
« système ». De fait pour un populiste, ces candidatures nuisent à
l’alternance démocratique – ce qui apparaît quand même paradoxal dans la mesure
où le populisme est par nature hostile au pluralisme – et de facto, au renouvellement des élites dont la nature apparaît pour
le moins présenter une forte inertie. Pour les électeurs de M. Ahmadinejad
comme pour ceux de D. Trump, une défaite de leur candidat aurait signifié un
retour en arrière et un maintien du statu
quo à la tête de l’Etat. Face à des profils politiques
« classiques », les candidats populistes aiment à se présenter comme
des personnalités « authentiques » à même d’apporter un renouveau et
de briser les codes régissant jusqu’alors la vie politique.
Dans leur volonté d’incarner le renouveau politique face aux
élites établies, D. Trump et M. Ahmadinejad ont pu compter sur certaines de
leurs caractéristiques intrinsèques. Le nouveau président américain a ainsi mis
en avant le fait qu’il n’appartenait pas à l’élite politique américaine. Cette
inexpérience qui aurait dû constituer rationnellement parlant une faiblesse
s’est au final transformée en avantage aux yeux de ses électeurs. M.
Ahmadinejad a quant lui pu compter sur le fait qu’il était le premier candidat
non membre du clergé à avoir de sérieuses chances de remporter l’élection
présidentielle iranienne, ce qui – en dépit de son conservatisme affiché –
représentait un espoir de rupture pour beaucoup de ses électeurs[5].
Nous pouvons donc déjà identifier une première similitude
dans le style populiste adopté par les deux individus tout au long de leur
première campagne électorale. Pour M. Ahmadinejad, ce style populiste s’est
maintenu tout au long de sa présidence et s’il est encore trop tôt que pour
juger D. Trump dans l’exercice de sa nouvelle fonction, son discours
d’investiture et ses premières déclarations ne laissent pour l’instant pas à
penser qu’il en sera autrement. Mais les ressemblances entre les deux hommes ne
s’arrêtent pas là.
Si l’on compare leurs discours destinés à leur scène
politique intérieure respective, le ton incisif est assurément à l’offensive et
à la confrontation en ce qui concerne les affaires extérieures[6]. Bien
entendu cela dépend également des sujets traités. On ne peut par exemple pas
taxer le Président Trump de discours offensif à l’égard de la Russie. Mais dans
l’ensemble, Trump et Ahmadinejad se distinguent de par leur style parfois peu
soucieux des formes usuellement à l’œuvre dans le langage diplomatique.
Le nouveau président américain s’en est ainsi pris violemment
à la Chine, tant sur le plan commercial que sur la question de Taïwan, il a
remis en cause de nombreux accords commerciaux, il s’est félicité du Brexit, il
a décrié l’Union européenne, il a déclaré l’Otan obsolète, il s’est interrogé
sur le parapluie nucléaire américain, et nous ne reviendrons pas sur ses
déclarations relatives aux Mexicains ou sur celles ayant trait à l’Islam. Il a
également dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien et n’a pas hésité à bomber
le torse face à la Corée du nord. Comme l’a souligné D. Trump lors de son
discours d’investiture, dans tous les dossiers internationaux, les décisions
seront prises en gardant à l’esprit que ce sera l’intérêt américain qui
primera, avant toute autre chose (était-ce vraiment différent auparavant ou ne
s’agit-il pas plutôt de redéfinir la notion d’intérêt américain ?). Cela
dit, il convient de noter qu’il a omis de préciser s’il prendrait en compte
l’intérêt à court terme ou l’intérêt sur le long terme.
M. Ahmadinejad est quant à lui arrivé à la présidence de la
République islamique alors que la question nucléaire battait son plein. Il a
dénoncé la politique sur ce dossier menée par son prédécesseur qui équivalait
selon lui à une capitulation devant l’Occident ; capitulation en totale
inadéquation d’après lui avec la définition de l’intérêt du pays. M.
Ahmadinejad a donc entrepris de repositionner l’Iran dans une posture plus
classique – au regard de l’idéologie du khomeynisme – de résistance face à
l’Occident (et aux puissances « hégémoniques »), renforçant par la
même occasion la posture de l’Iran en tant que puissance régionale
révisionniste de l’ordre établi.
Ce qui peut sembler paradoxal dans le cas de D. Trump, c’est
que ses propos laissent à penser qu’il pourrait également adopter une posture
révisionniste par rapport l’ordre établi et cela alors que les Etats-Unis sont
à l’origine du système international en place et qu’ils y occupent dès lors une
position prédominante. Cela dit ce « révisionnisme » ne concernerait
bien entendu pas la hiérarchisation de la puissance au sein du système
international – la primauté des Etats-Unis étant l’objectif – mais bien
l’architecture du dit système afin de conserver et renforcer la puissance
américaine. Il est encore cependant trop tôt que pour juger d’un potentiel
changement qui pourrait très bien plus concerner la forme que le fond de la
politique étrangère de Washington.
Quoi qu’il en soit, tous deux prônent une certaine révision
de l’ordre établi au nom de leur conception respective de l’intérêt national.
Si cette posture apparaît naturelle au regard de l’identité étatique iranienne,
elle constitue une nouveauté qui doit encore se confirmer – ou non – dans le
cas des Etats-Unis présidés par D. Trump. Par ailleurs, les deux hommes se
présentent comme des sauveurs, seuls capables d’exalter la fierté et la
grandeur de la nation (Make America Great
Again), et n’ayant pas peur d’adopter des postures conflictuelles à l’égard
de leurs rivaux et ennemis – réels ou simplement perçus comme tels.
Sur le plan économique, les deux hommes prônent également la
résistance, de facto pour D. Trump,
de manière plus théorisée et idéologisée pour M. Ahmadinejad. Lorsque le
nouveau président américain déclare dans son discours d’investiture qu’il faut
acheter et consommer américain, il épouse sans le savoir le même style de
rhétorique que celui tenu par les conservateurs du régime iranien. Pour ces
derniers en effet, la République islamique se doit de parvenir à une quasi
autarcie en vue d’assurer son avenir économique. Le concept de
« l’économie de résistance » est brandi comme un bouclier nécessaire
à la survie du régime face au « néo-impérialisme » de
« l’Occident » et de ses « puissances arrogantes » qui, au
travers de la mondialisation, chercheraient de manière insidieuse à asseoir
leur domination économique et politique ainsi que leur mode de vie à travers le
monde. Pour les conservateurs du régime iranien, dont Ahmadinejad,
« l’économie de résistance » va de pair avec la résistance culturelle
en vue de garantir la pérennité du régime. Sans reposer sur un socle
idéologique aussi théorisé, la posture de D. Trump à l’égard de la
mondialisation s’avère également très critique envers cette dernière. Ceci
constitue encore un paradoxe dans la mesure où les Etats-Unis ont jusqu’à
aujourd’hui été présentés comme les champions de la mondialisation et du
libre-échange. Or avec ses déclarations aux relents protectionnistes, D. Trump
semble avoir abandonné la place de champion de la libéralisation du commerce
international au président chinois Xi Jinping ; une évolution qui apparaît
pour le moins ironique[7].
Enfin, on notera – sans entrer dans les détails théoriques de
la psychologie politique – que les propos de M. Ahmadinejad ainsi que ceux de
D. Trump laissent apparaître chez l’un comme chez l’autre – sur base de
résultats provisoires[8] – un
faible coefficient de complexité cognitive. Cela signifie qu’une étude de leurs
déclarations respectives laisse entrevoir chez eux une vision manichéenne de
leur environnement ainsi qu’une faible capacité à faire preuve d’empathie et à
comprendre dans leur globalité des problèmes particulièrement complexes.
Au final, en dépit des différences qui existent entre leurs
idéologies, les attributs de leur fonction présidentielle, et leurs parcours
respectifs, D. Trump et M. Ahmadinejad apparaissent in fine comme des leaders
politiques populistes ayant plus en commun que ce que l’on pourrait croire au
premier regard. M. Ahmadinejad n’a pas laissé un souvenir impérissable à la fin
de son deuxième mandat, ni sur le plan domestique, ni sur la scène
internationale. Sa réélection controversée en 2009 avait suscité une vague de
manifestations populaires inédites en Iran depuis 1979 et elle avait
profondément clivé la société civile iranienne. L’élection de D. Trump s’est
elle aussi accompagnée de mouvements protestataires inédits mais la comparaison
s’arrête là tant les manifestations populaires survenues aux Etats-Unis ces
dernières semaines diffèrent, de par leur objectif, leur ampleur et le climat
de leur déroulement, avec les évènements survenus en Iran à l’été 2009. Au
final, il convient surtout de retenir que les deux personnages ne laissent pas
indifférent et qu’ils s’avèrent particulièrement clivant. Si Ahmadinejad ne
restera pas dans les annales comme un grand président iranien, il s’avère
encore être trop tôt que pour juger du bilan du nouveau locataire de la Maison
Blanche. Rendez-vous donc dans quatre ans.
[1] Il est a noter que nous ne nous attarderons pas ici à
parler des différences existantes entre la fonction présidentielle telle
qu’elle est conçue aux Etats-Unis et la fonction présidentielle telle que définie
au sein de l’appareil institutionnel iranien ; ce sujet méritant à lui
seul toute une note d’analyse.
[2] Voir : MÜLLER J.-W., Qu’est-ce
que le populisme ? Définir enfin la menace, Paris, Premier Parallèle, 2016,
185 p.
[3] Le discours d’investiture de D. Trump est disponible
dans son intégralité sur le site de la Maison Blanche : The Inaugural Address, January 20, 2017,
https://www.whitehouse.gov/inaugural-address
[4] Décédé le 8 janvier 2017, H. Rafsandjani fut Président de la
République islamique de 1989 à 1997. Pour une analyse de son bilan et de son
héritage politique, voir : Vincent Eiffling, L’Iran face à la disparition d’Hachemi Rafsandjani : bilan et perspectives
d’avenir pour la République islamique, Note d’analyse des Chaires InBev
Baillet-Latour, CECRI-UCL, n°52, 24 p., https://geopolcecri.files.wordpress.com/2017/01/52-eiffling1.pdf
[5] Cet espoir de rupture avait été auparavant incarné
par M. Khatami, président iranien de 1997 à 2005 et également membre du clergé.
Le bilan mitigé et décevant de sa présidence a fortement miné l’enthousiasme
des électeurs modérés/réformateurs et de nombreux Iraniens ont alors souhaité
voir accéder à la présidence un individu qui pour la première fois n’aurait pas
été issu du sérail clérical.
[6] Il est important de préciser qu’il s’agit des
discours destinés au public national dans la mesure où les discours et
déclarations tenus dans un cadre international peuvent sensiblement différer de
par leur forme avec ceux prononcés sur la scène politique nationale. Ainsi, le
style de M. Ahmadinejad sur la scène nationale était beaucoup plus conflictuel
que celui adopté par l’ancien président iranien lors de ses déplacements à l’extérieur
du pays ou lors de ses interviews avec des médias étrangers. Pour ce qui est de
D. Trump, le manque de matériel adéquat empêche pour l’heure de tenir une
analyse similaire.
[7] CAMPBELL C., “Xi
Jinping Becomes an Unlikely Advocate of Free Trade at Davos », in Time, January 17, 2017, http://time.com/4635963/xi-jinping-china-davos-world-economic-forum-trade-donald-trump/
[8] Une étude plus approfondie sera publiée
ultérieurement sur ce sujet.
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