Après les troubles survenus suite à la réélection
de M. Ahmadinejad au cours de l’été 2009, l’élection présidentielle qui doit se
tenir en Iran le 14 juin prochain fait figure de test pour la stabilité et la
légitimité du régime. Or la décision prise par le Conseil des gardiens ce mardi
21 mai d’écarter de la course à la présidence deux des personnages les plus
médiatisés de la vie politique iranienne suscite d’ores et déjà de vives
réactions tant en Iran qu’auprès des observateurs étrangers.
Pour rappel, le Conseil des gardiens, ou shoray-é néghahban, est une instance
politique composée de 12 membres, six religieux et six juristes. Ce Conseil est
désigné pour 6 ans. Les membres religieux sont nommés par le Guide. Les
juristes sont quant à eux élus par le parlement sur proposition du chef du
pouvoir judiciaire, lui-même nommé par le Guide (Art.91 de la constitution).
Les fonctions de cette institution sont multiples. En ce qui concerne son
implication dans le pouvoir législatif, le Conseil des gardiens veille à la
conformité des lois émises par le Majles (le parlement iranien) avec la
constitution ainsi qu’avec les préceptes de l’Islam (Art.94 de la constitution).
Cette dernière tâche revient exclusivement aux six membres religieux, la
première étant assurée par l’ensemble du Conseil (Art. 96 de la constitution).
Le Conseil joue également un rôle prépondérant
lors des élections législatives et présidentielles. La tâche lui incombe en
effet de valider les différents candidats avant que ceux-ci ne se lancent dans
la bataille électorale. Les critères sont multiples et ouvrent la voie à la
subjectivité de l’appréciation : antécédents politiques, bonne vie et
mœurs, conformité de la personnalité avec les préceptes de la République
islamique, … Autrement dit, pour ce qui est du législatif, le Conseil des
gardiens joue un rôle de filtrage à l’entrée du parlement – en éliminant
certains candidats – ainsi qu’à la sortie de celui-ci – en examinant la
conformité des lois au regard des principes de la République islamique.
Ce rôle de sélection des candidats demeure le même
en cas d’élection présidentielle. Cette année, sur 686 candidats, le Conseil
des gardiens a déclaré avoir examiné sérieusement 40 candidatures pour
finalement n’en retenir que les huit que voici (un post reprenant les
caractéristiques de ces huit candidats sera mis en ligne dans les prochaines
heures et leurs programmes seront régulièrement détaillés tout au long de la
campagne) :
-
Saeed Jalili ;
-
Moshen
Rezaei ;
-
Hassan
Rouhani ;
-
Ali Akbar
Velayati ;
-
Gholam-Ali
Haddad-Adel ;
-
Mohammad-Baqer
Qalibaf ;
-
Mohammad-Reza
Aref ;
-
Mohammad
Ghazi.
Ce qui choque inévitablement à la lecture de cette
liste, c’est l’absence remarquée d’Esfandiar Rahim Mashaïe, chef de cabinet de
l’actuel président et figure controversée du paysage politique iranien, ainsi
que celle d’Hachémi Rafsandjani, ancien président de la République islamique de
1989 à 1997.
Au sujet de l’éviction d’Esfandiar Rahim Mashaïe,
bras droit du président Ahmadinejad, la décision du Conseil des gardiens ne
représente pas réellement une surprise tant l’homme suscite depuis déjà plusieurs
années l’ire des milieux cléricaux conservateurs. Il faut dire qu’au fil du
temps, l’accumulation de ses déclarations à rebours de la rhétorique
khomeyniste visant à marginaliser le rôle politique du clergé lui ont valu
l’étiquette d’hérétique aux yeux des partisans de la ligne dure traditionnelle.
Outre sa déclaration choque de juin 2008 au cours de laquelle il avait annoncé
que l’Iran était l’ami du peuple israélien, l’intéressé s’est récemment
illustré en tenant des propos critiquant l’islamisme traditionnel et en
défendant par la même occasion l’avènement d’un « Islam iranien »,
plus à même selon lui de répondre aux nécessités de la population. Ces paroles
lui ont par ailleurs valu les critiques de la part du chef du système
judiciaire, l’Ayatollah Sadegh Larijani, proche du Guide suprême et frère d’Ali
Larijani, président du Majles – le parlement iranien – lequel est également
l’un des plus fervents opposants d’Ahmadinejad. En tenant un discours populiste
à relents nationalistes mettant régulièrement en avant la grandeur de l’Iran
préislamique et en tentant de se substituer au clergé dans la conduite des
affaires de la Foi, l’acceptation de la candidature de Mashaïe se trouvait déjà
fort hypothéquée. Face à la levée de boucliers qu’avait suscitée dans les
milieux conservateurs ne serait-ce que l’hypothèse de sa candidature, le dépôt
de celle-ci auprès du ministère de l’intérieur au début du mois de mai
constituait d’ailleurs déjà un acte de défi envers la nomenklatura cléricale.
Aussi, cette éviction ne constitue pas en soi une surprise. En dépit du fait
que le président iranien a d’ores et déjà annoncé sa volonté de demander au
Guide d’autoriser par décret son dauphin à se lancer dans la course, il y a
fort à parier qu’Ali Khamenei ne prendra pas le risque d’outrepasser la
décision du Conseil des gardiens. Tout d’abord, membres du
Conseil en charge de l’examen des candidatures sont nommés directement ou indirectement par
le Guide. Désavouer cette institution reviendrait donc pour le chef de l’Etat à
se discréditer lui-même. Inenvisageable dans un système où le Guide suprême se
veut infaillible. Enfin, pourquoi Khamenei aiderait-il Mashaïe à concourir pour
le siège de président alors qu’il l’a lui même évincé du poste de premier
vice-président en 2009 et cela en dépit des protestations d’Ahmadinejad ? Non
il n’y a décidemment rien d’étonnant à la mise sur le banc d’Esfandiar Rahim
Mashaïe. Les gesticulations d’Ahmadinejad n’y changeront rien mais elles lui
permettent de se lancer dans un nouveau bras de fer avec le Guide suprême dont
l’animosité envers le président n’a cessé de croître au cours de son second
mandat. Au travers de l’échec de son dauphin, M. Ahmadinejad va pouvoir se
poser en « martyr » d’un système dont il ne cesse de dénoncer la
corruption, cherchant ainsi un cheval de bataille politique pour les cinq
années à venir avec, peut-être en ligne de mire, les élections présidentielles de
2017.
Bien plus inattendue que le cas de Mashaïe,
l’absence de Hachémi Rafsandjani sur la liste des candidats autorisés à
concourir constitue bien la réelle surprise de ce début de campagne
présidentielle. Président du parlement de 1980 à 1989, commandant des
opérations militaires au cours des derniers mois de la guerre contre l’Irak,
président de la république de 1989 à 1997, président de l’Assemblée des experts
de 2007 à 2011, l’homme, surnommé « le requin » par ses détracteurs,
est un vieux briscard de la vie politique iranienne et l’un des fondateurs du
régime. A charge de l’individu, ses opposants soulignent son mode de vie
indécent au regard des besoins de la population ; sa fortune étant estimée
à plusieurs milliards de dollars. Sa corruption notoire est également régulièrement
mentionnée et les conservateurs ne lui pardonnent pas le soutien – certes
timide – qu’il a apporté au mouvement vert né de la réélection d’Ahmadinejad au
cours de l’été 2009. A sa décharge, ses partisans insistent sur ce même soutien
apporté alors aux protestataires, soulignant ainsi son inclinaison – sans doute
exagérée – pour des réformes politiques susceptibles d’ouvrir la voie à un
retour en grâce des réformateurs. Avec l’âge diront certains, le vieux requin
se serait donc assagi. La fougue révolutionnaire appartiendrait au passé.
Conscient des défis de son époque et de la métamorphose de la société iranienne
– presque 50% des Iraniens ont moins de 30 ans – l’homme serait devenu
perméable aux aspirations de la jeunesse. A cet égard, il faut souligner que
son propre fils ainsi que sa propre fille ont tous deux connu des démêlés avec
la justice en raison de leur participation à des manifestations jugées hostiles envers le régime. Le premier a dû fuir aux Emirats Arabes Unis et la seconde a
passée plusieurs mois en prison. Traditionnellement considéré sur l’échiquier
politique comme se situant à cheval entre les conservateurs et les
réformateurs, Rafsandjani est avant tout un pragmatique de tendance libéral. Le
dépôt de sa candidature, survenu à la dernière minute, avait suscité beaucoup
d’espoirs chez certains réformateurs désireux de restructurer une économie
asphyxiée et de promouvoir une détente avec l’Occident sur la question du
nucléaire. Mais la jeunesse iranienne aurait-elle accordé sa confiance envers
un homme de bientôt 79 ans qui demeure malgré tout l’un des pères fondateurs
d’un système qu’elle a tant décrié ? Rien n’est moins sur. C’est
d’ailleurs sur base de cet âge avancé que le Conseil des gardiens a motivé sa
décision, arguant que seuls les candidats aptes physiquement sont à même de
pouvoir exercer la fonction présidentielle. Cependant, en évinçant Rafsandjani,
les tenants actuels du régime ne semblent pas vouloir prendre de risque, le
spectre de 2009 étant encore gravé dans leurs mémoires. La main du Guide se cache-t-elle derrière cette
décision du Conseil ? Peut-être. Mais en discréditant l’un de ses pères,
la République islamique atténue d’avantage sa crédibilité. En prohibant
certaines factions politiques pour l’élection la plus importante du pays, elle
torpille ce qui lui reste de légitimité. Avec l’éviction de Rafsandjani, c’est
l’espoir d’un retour à l’équilibre politique entre réformateurs et
conservateurs qui s’atténue. Pour l’Occident, c’est la perspective de retrouver
un interlocuteur pragmatique sur la question du nucléaire qui disparaît. Pour
Israël, c’est une inquiétude sécuritaire qui s’éternise. Cela dit, le vieil
homme avait-il réellement envie de se relancer dans les luttes de pouvoir qui rythment
la vie politique iranienne ? Il faut rappeler que sa candidature, longtemps
incertaine, avait surtout été poussée par des figures réformatrices. Pour sa
part, l’intéressé a curieusement accueilli son rejet avec sérénité, presque
avec soulagement, indiquant qu’il ne comptait pas le remettre en cause. Ceci
exclu donc toute intervention auprès de Khamenei en vue d’obtenir une
dérogation auprès de celui-ci, alors que la fille et le petit fils de l’Ayatollah
Khomeiny, le père fondateur de la République islamique, ont pour leur part
ouvertement demandé à l’actuel Guide suprême d’intervenir en faveur de l’ancien
président.
Anticipant de possibles réactions populaires de
mécontentement, la proclamation des candidats s’est accompagnée d’un
déploiement massif des forces anti-émeutes dans les rues de Téhéran, une
première depuis plus d’un an. Signe s’il en était besoin que le régime est
moins confiant qu’il ne souhaite le paraître.
Si en théorie le Conseil des gardiens est censé
procéder à un triage en vue de sélectionner les candidats les plus sérieux, la
liste annoncée ce mardi 21 mai s’apparente plus à une sélection effectuée dans
les intérêts du Guide ; les protégés de ce dernier ayant désormais tout le
champ libre. Jamais depuis la mort du père fondateur de la République
islamique, il n’était apparu aussi clairement que les pouvoirs de l’Etat sont
et demeurent concentrés entre les mains d’un seul individu : le Rahbar-é enghélāb, le Guide de la
révolution, aujourd’hui Ali Khamenei.
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